MSGU : une façon de rendre le citoyen acteur de sa propre sécurité ?
Par Frédéric Séguret, Ludovic Blay, Gilles Martin

Friday, 6 March 2015

 VISOV

La révolution du « Web 2.0 » a permis l’émergence des médias sociaux. Ce sont des médias, car ils permettent de véhiculer de l’information, mais cette information n’est pas nécessairement produite par des professionnels de la presse ou des relations publiques. Les citoyens connectés y participent, écrivent, produisent des documents sonores, des photos et des vidéos. La dimension sociale des médias sociaux tient à la capacité que chacun a d’interagir avec l’information à tout instant, par des commentaires, des réponses, des rediffusions. Les médias sont aussi « sociaux » car les échanges n’y ont pas pour ambition principale de former une œuvre créative, mais de s’insérer dans le flux des discussions entre personnes faisant société. S’y référer est devenu un réflexe naturel, dès lors qu’une connexion à l’Internet est disponible. Pour toute personne équipée d’un smartphone, cette possibilité est permanente.

Lors d’un événement majeur, les citoyens ont besoin d’une information pertinente, que ce soit pour adapter leur comportement aux risques, trouver l’aide dont ils ont besoin, savoir comment se mettre en sécurité, ou être rassurés sur le traitement de l’urgence par les autorités. Ils vont pour cela se tourner vers les flux médias classiques (radio et télévision) mais aussi, s’ils sont connectés, vers les moteurs de recherche et les médias sociaux. Les citoyens au cœur de l’événement sont, eux, en situation de produire de l’information. Étant sur place, ils ont la possibilité de prendre des photos ou de capter des vidéos. Ils n’ont pas, ou peu, accès aux médias de flux conventionnels, mais peuvent poster des images et des commentaires immédiatement sur leur compte Twitter, Facebook, YouTube ou Instagram. Et l’expérience montre qu’ils le font de manière très spontanée, ne serait-ce que pour informer leurs proches et leur famille de la situation. Or cette information, disponible sans délai et le plus souvent géo localisée, a un intérêt majeur pour le gestionnaire de crise.

Le sigle MSGU est utilisé depuis 2012 dans l’espace francophone pour désigner la démarche permettant de tirer profit, pour la gestion d’événements majeurs, des médias sociaux en situation d’urgence. Cette information est dispersée sur de nombreux réseaux sociaux, foisonnante, et d’intérêt divers. Elle est donc inaccessible aux organisations de l’urgence sans un traitement préalable permettant de l’extraire, de l’ordonner et de la présenter sous une forme exploitable en salle opérationnelle.

Ce travail de fourmi est coûteux en temps et en énergie. Il nécessite en outre une connaissance approfondie des techniques de recherche et de validation de l’information sur les réseaux sociaux, nécessitant un long apprentissage pratique. D’où l’idée de confier cette tâche à une équipe de volontaires de confiance qui peut être activée à la demande du gestionnaire de crise. Cette équipe n’est pas réunie dans un même espace physique, mais dans un espace numérique de travail, et constitue donc une communauté dite « virtuelle » dans le langage des informaticiens. Ce concept a reçu en 2011 la dénomination de VOST pour virtual operations support team, à l’issue d’un exercice organisé par une telle communauté et le terme est resté depuis.

En France, et plus largement dans l’espace francophone, l’association VISOV (pour volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel) a été constituée par des citoyens, pour la plupart intervenant dans le domaine de la sécurité civile ou de l’urgence, afin d’importer le concept de VOST. Il a été francisé en ESOV, équipe de soutien opérationnel virtuel. L’association développe le concept, les méthodes et les outils permettant de faire fonctionner une ESOV dans le cadre d’une urgence. Ses bénévoles sont intervenus à de nombreuses reprises depuis 2012 au profit d’organisations gouvernementales et non gouvernementales diverses. Ils constituent un groupe de citoyens à l’interface entre les médias sociaux et les organisations d’urgence et de sécurité civile.
La restitution joue un rôle important. Elle prend la forme d’une liste de résultats de recherche, disponible dans un tableur dans un ordre chronologique. Les informations étant géo localisées, elles peuvent également être restituées sous la forme d’une carte collaborative.

L’ESOV peut également relayer sur les réseaux sociaux des informations de la part des organisations d’urgence pour faciliter la gestion d’un événement majeur. Ce fut le cas par exemple en demandant à la population de libérer les routes lors de l’accident de train en gare de Brétigny-sur-Orge (France) ou pour démentir des rumeurs. Ce fut aussi le cas lors des inondations dans le sud de la France en novembre 2014, où VISOV a diffusé plusieurs conseils et consignes pour mettre en sécurité à la fois les populations et les biens. Enfin, l’ESOV peut interagir directement avec les citoyens pour demander des précisions sur une information (où a été prise cette photo ?), en démentir une autre (telle photo est un canular, pour preuve, elle a déjà été publiée il y a plusieurs années), répondre à des demandes d’assistance, relayer des appels à solidarité, et interagir avec les médias traditionnels (presse régionale et radio locale). Ces quelques exemples démontrent tout l’intérêt d’une ESOV en situation d’urgence.

Les auteurs sont membres de l’association VISOV. Frédéric Séguret, de formation scientifique et technique, s’est initié à la sécurité civile sur le terrain du bénévolat dans une organisation humanitaire. Ludovic Blay, docteur de l’université de Troyes sur le traitement de crise et la sécurité globale, s’est spécialisé dans la gestion de l’information dans les cellules de crise. Gilles Martin est spécialiste en gestion de crise 2.0 au sein de la société ATRISC.